22 septembre 2014 Publié dans Etudes scientifiques / médicales - blessures : santé et sport
Le concept de « core stability » du pied
Voici un nouvel article très intéressant de notre podologue du sport (qui a fait beaucoup parlé de lui avec ses articles sur le barefoot running) concernant le concept de « core stability » du pied.
Nous allons commencer par mettre en place le contexte de cet article. Le « foot core stability » est un sujet très controversé qui fait suite à une publication datant de fin 2013 dans le British Journal of Sports Medicine mettant en avant un nouveau modèle de compréhension de la biomécanique du pied notamment dans la course à pied.
Détaillons d’abord ce que l’on entend par « core stability », les adeptes de Pilates et de yoga comprendront tout de suite le sens de ces mots. On pourrait traduire cela en français littéralement par « stabilité de base » mais le sens du mot fait référence à la « posture du pied », ce concept est très populaire dans les médias anglo-saxons et est prétendument un concept important pour la prévention des blessures en course à pied, les lombalgies et les problèmes de postures.
La stabilité de base fait référence à la région du corps délimité par la paroi abdominale, le bassin, le bas du dos et le diaphragme. Les principaux muscles impliqués comprennent le muscle transverse de l’abdomen, les obliques internes et externes, le carré des lombes et le diaphragme. C’est l’action de contraction de ces muscles qui offre le soutien nécessaire à la colonne vertébrale et au bassin ainsi que la capacité à stabiliser le corps pendant le mouvement.
Voici l’abstract de présentation de la publication traduit par mes soins. Pour bien comprendre cet abstract sachez qu’un muscle intrinsèque du pied est un muscle qui commence dans le pied et se termine dans le pied. A l’inverse un muscle extrinsèque est un muscle commençant dans la jambe et dont le tendon se termine dans le pied.
Le pied est une structure complexe comprenant de nombreuses articulations à degrés de liberté multiples jouant un rôle important dans la posture et la biomécanique. Le développement de la voûte plantaire au cours de l’évolution de l’Homme a coïncidé avec l’accroissement des sollicitations du pied dès lors que les humains ont commencé à courir. Le mouvement et la stabilité de l’arche plantaire est commandée par les muscles intrinsèques et extrinsèques du pied. Cependant, les muscles intrinsèques sont largement ignorés par les cliniciens et les chercheurs. En tant que tel, ces muscles sont rarement abordés dans les programmes de rééducation. Les soins apportés pour des problèmes liés au pied sont plus souvent axés sur le soutien du pied par un dispositif externe plutôt que de rééduquer ces muscles à fonctionner comme ils devraient.
Dans cet article, nous proposons un nouveau paradigme pour comprendre la fonction mécanique du pied. Nous commençons par un aperçu de l’évolution du pied humain en mettant l’accent sur le développement de l’arche plantaire. S’en suivra une description des muscles intrinsèques du pied et de leur relation avec les muscles extrinsèques. Nous ferons un parallèle entre les petits muscles de la région du tronc qui forment le noyau de lombo-pelvien et les muscles intrinsèques du pied, introduisant le concept de la posture du pied. Nous intégrons alors ce concept dans l’évaluation clinique et le traitement du pied.
Enfin, nous appelons à une prise de conscience accrue de l’importance de la posture du pied à pied et du fonctionnement physiologique des membres inférieurs.
Le pied est une entité comprenant 26 os, 16 articulations, une grosse centaine de ligaments et une vingtaine de muscles. Cet article est très intéressant et la réflexion autour de la fonction du pied, bien que pas forcément si novatrice que ça, remet une nouvelle fois sur le tapis la question du minimalisme. Bien que le minimalisme ne soit pas directement traité dans cette publication lorsqu’on parle de renforcement musculaire intrinsèque du pied on induit forcément de se séparer de toute forme de support sous le pied que ce soit par le biais de semelles orthopédiques ou de chaussures dites maximalistes qui rendraient nos pied des entités passives et paresseuses.
Parlons un peu de ces muscles intrinsèques du pied, ils sont nombreux et ce sont des très petits muscles ayant surtout un rôle de stabilisation du pied. En biomécanique humaine nous utilisons comme modèle simplifié le modèle des leviers pour expliquer le mouvement par des actions musculaires, plus le muscle est long plus le mouvement sera important grâce au bras de levier.
Les muscles intrinsèques du pied accompagnent le mouvement d’un muscle extrinsèque du pied (par exemple le cours fléchisseur des orteils se contractent avec le long fléchisseur des orteils pour donc fléchir les orteils) et stabilise la structure du pied.
Il a été montré lors d’une étude chez 21 patients qu’après une séance de musculation du pied on enregistrait une chute du médio pied plus importante liée à la fatigue musculaire engendrée par l’exercice. Nous avons également tous vu ces photos montrant un pied totalement affaissé en pronation puis ce même pied bien redressé après 2 ans de barefoot running qui aurait remusclé la plante des pieds.
Cette publication n’est pas une étude scientifique à proprement parlé il s’agit de définir un cadre théorique pour une meilleur compréhension de la mécanique du pied. Voici les conclusions principales qui en sont tirées :
La stabilité de base de pied se compose de sous-systèmes interagissant entre eux qui fournissent les données sensorielles et la stabilité fonctionnelle permettant de s’adapter aux deux activités que sont la statique et la dynamique. L’interaction de ces sous-systèmes est très similaire au système de base lombo-pelvien. Les muscles intrinsèques plantaires du pied au sein du « active subsytem » et du « neural subsystem » jouent un rôle essentiel dans la posture du pied en tant que stabilisateurs locaux et en tant que mécanorécepteurs à la déformation du pied en charge. L’évaluation du système de base du pied peut donner un aperçu clinique quant à la capacité du pied à faire face aux exigences fonctionnelles.
L’entraînement de la posture du pied commence en ciblant les muscles intrinsèques plantaires via l’exercice du « pied court », semblable au renforcement abdominal, permettant l’amélioration de la capacité et du contrôle du système de base de pied.
Une nouvelle fois le concept développé dans cette étude n’est pas nouveau et fait largement référence à la posturologie et à la proprioception du corps humain. En revanche d’appliqué ce concept strictement aux muscles intrinsèques du pied est effectivement une nouvelle piste d’étude qui mérite d’être explorée.
Intéressons-nous aussi aux auteurs de l’article. McKeon est un spécialiste en physiologie humaine chez les athlètes et en contrôle sensori-moteur, ses travaux tournent beaucoup autour de la stabilité de la cheville. Hertel est un spécialiste en kinésiologie également très à cheval sur la médecine physique autour de la cheville. Bramble professeur en biologie spécialisé en évolution humaine qui a co-écrit la fameuse publication avec Lieberman dans « Nature » sur le fait que les humains devraient courir pied nu.
Et enfin the last but not the least Pr Irene Davis dont le crédo est de je cite « enlever toutes les chaussures de sport aux coureurs ». Autant dire que nous avons là des imminents spécialistes qui restent néanmoins fan d’une technique de course bien particulière et qui ont tendance à être un poil dogmatique.
Nous allons donc poser quelques petits bémols et nous permettre d’être un tout petit peu critique. La première chose à se demander est : ce concept apporte-t-il réellement quelques choses à la compréhension de la mécanique du pied ? De nombreux professionnels en podologie et en biomécanique humaine n’ont pas hésité à qualifier cette étude je cite : « masturbation intellectuelle entre académicien » ou encore « nouveau pseudo-modèle pour les groupies de la course à pied sans évidences cliniques».
La base du concept postural (appliqué à la colonne vertébrale) est que les stabilisateurs locaux sont des muscles qui fournissent une stabilité posturale, de sorte à ce que le mouvement soit généré par des muscles à long bras de levier. Le modèle proposé suggère la même chose pour le pied : « l’arche plantaire est contrôlée à la fois par les stabilisateurs locaux et les muscles du mouvement, semblable à la stabilité posturale lombo-pelvienne ». Les stabilisateurs locaux sont les petits muscles intrinsèques qui traversent la voûte plantaire. Le problème avec l’application de ce modèle au pied est le moment où les muscles s’activent pendant la marche.
Les petits muscles intrinsèques (les stabilisateurs locaux présumés) commencent à travailler de manière effective au moment de la deuxième moitié de la phase d’appui donc après les muscles extrinsèques (les muscles du mouvement) qui ont déjà commencé à travailler. Il suffit de regarder n’importe quelle graphique qui illustre la synchronisation de l’activité musculaire pendant la marche ou la course.
Une autre approche fatale à ce concept est qu’il ne semble il y avoir de liens entre la puissance musculaire du pied et la hauteur de l’arche plantaire (Relationship between explosive muscle strength and medial longitudinal arch of the foot) et que le barefoot running ne renforce pas l’activité musculaire des muscles intrinsèques du pied (Magnetic Resonance Analysis of Intrinsic Foot Musculature during Running in Shod and Barefoot Conditions).
Un dernier point qui est une totale aberration lorsque qu’on s’intéresse un petit peu à la biomécanique du pied est ce qu’on appelle l’effet treuil de l’aponévrose plantaire. Ce sacro-saint principe FONDAMENTAL pour la compréhension de la marche et la course est (volontairement je pense) ignorer par les auteurs. Pour faire simple lorsque nous effectuons une flexion dorsale des orteils (et notamment le gros orteil) on tracte notre aponévrose plantaire ce qui creuse la voûte plantaire.
C’est le mécanisme principal pour stabiliser le pied et maintenir la cambrure de l’arche plantaire et nous n’en parlons absolument pas.
Pour conclure nous pouvons légitimement poser ces questions :
Est-ce que le « Core System Foot » une « un nouveau paradigme pour comprendre la fonction des muscles du pied intrinsèque ». Non.
Est-ce que « la stabilité posturale du pied » est un nouveau nom pour quelque chose qui a déjà été décrit et publié, un peu comme « les chaussures de course minimalistes» pour décrire des chaussures plates qui existent depuis au moins quatre décennies? Oui.
Daniel BENJAMIN
Podologue du sport
Source:
Kelly LA, Kuitunen S, Racinais S, et al. Recruitment of the plantar intrinsic foot muscles
with increasing postural demand. Clin Biomech (Bristol, Avon) 2012;27:46–51.
Intrinsic foot muscles have the capacity to control deformation of the longitudinal arch
LA Kelly, AG Cresswell, S Racinais, R Whiteley, G Lichtwark
Journal of The Royal Society Interface 11 (93), 20131188
Dynamic function of the plantar intrinsic foot muscles during walking and running
L Kelly, G Lichtwark, A Cresswell
Journal of Science and Medicine in Sport 16, e4-e4
Discharge properties of abductor hallucis before, during, and after an isometric fatigue task
LA Kelly, S Racinais, AG Cresswell
Journal of neurophysiology 110 (4), 891-898
Do Foot Orthoses Alter Muscle Activation, Running Economy and Neuromuscular Fatigue During a 1-h Treadmill Run?: 843: June 1 2: 15 PM-2: 30 PM
LA Kelly, O Girard, S Racinais
Medicine & Science in Sports & Exercise 43 (5), 101
http://www.runresearchjunkie.com/the-concept-of-core-stability-of-the-foot/
http://www.jelectromyographykinesiology.com/article/S1050-6411(06)00170-2/abstract?cc=y
https://soundcloud.com/drbartonbiomech/the-foot-core-discussion-with-professor-irene-davis-and-dr-patrick-mckeon
http://www.drnicksrunningblog.com/two-year-long-case-study-demonstrating-an-increase-in-arch-height-from-running-in-minimalist-shoes/
http://www.runresearchjunkie.com/the-windlass-mechanism-foot/
https://www.jenreviews.com/barefoot-running-shoes/